Un pas de côté

Témoignage d'un militant photographe victime de la machinerie juridico-policière à Chambéry. Soutien demandé !

 

ERRATUM : Dû à "un cas de force majeur" se révélant être l'impossibilité de mon avocat à assurer ma défense lors de mon procès initialement prévu le 03 juillet, le renvoie de l'audience est annoncé pour le ... 28 novembre. 2024, tout de même. L'intéressé s'est retrouvé bloqué dans Chambéry par le passage du Tour de France le même jour. Et roule ta bille.

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Bonjour,

Moi c'est JB, je vis à Chambéry en Savoie depuis 6 ans. On s'est peut-être déjà croisé à la vélobricolade, l'atelier d'auto-réparation de bicyclettes de l'association Roue Libre, au festival des Nuits de la Roulotte pour lequel je prends des photos de concerts et d'ambiance depuis 2019 ou ailleurs, au gré des bars et des pistes cyclables. Je vous ai potentiellement dépanné ou réparé votre vélo lorsque je tenais l'atelier cycle chez Cattin aussi, avant que je ne me mette en rupture conventionnelle avec le magasin en septembre 2023. Bref, ça c'est pour le CV dans les grandes lignes. Place au sujet de ce texte maintenant :

    En novembre dernier, je reçois un message de Déclic Militant, un réseau de photographes avec lesquel.les je couvre médiatiquement des mouvements sociaux sur Chambéry. Il s'agit d'un appel à la prise de vues au cours d'une action non-violente dirigée contre les banques complices du flambant projet EACOP.

    Étant disponible, je me rends donc au lieu dit vers une heure convenue, à savoir la fameuse Place des Éléphants le 23 novembre, aux alentours de midi. Des militant.e.s couvrent les murs du Crédit Agricole et de la Société Générale de tags et collent des affiches pour alerter l'opinion publique de ce scandale, aucun personnel de banque n'est évidemment présent sur les lieux. Moi, je me contente de déclencher mon appareil.

    Une demie-heure après cette action particulièrement brève et furtive, disons par souci esthétique de prendre une image posément, je me retrouve seul à photographier la surface d'un mur bariolé lorsqu'une portière claque violemment derrière mon dos. Deux hommes baraqués qui s'avèrent être deux policiers en civil arrivent subitement sur moi et me somment de leur montrer mon appareil photo puis de décliner mon identité. Par crainte que mes clichés leur servent contre mon gré, je refuse de le leur laisser et tente de m'extraire de leur étreinte angoissante. Erreur tactique, réflexe de peur, ce pas de côté est pour eux l'occasion attendue de me plaquer à terre et de s'appuyer de toute leur force sur moi pour me passer des menottes. Appareil photo en main, je me débats faiblement pour tenter de ne pas l'abîmer et me fait mettre de force dans une voiture, également banalisée, sous force injures et empoignements : "petite merde, continue et je te mets un coup de tazer dans la gueule".

    Une fois au commissariat je finis par décliner mon identité avant d'entrer en garde à vue. Je demande le médecin et un avocat. On me sectionne à la pince coupante mes anneaux à l'oreille pour éviter que je me mutile en les arrachant, idée saugrenue apparemment employée pour sortir plus vite, mais en civière escortée. On me laisse en cellule, hagard et en t-shirt pour une période indéfinie. Il est à ce moment 15h30, nous somme fin novembre et le cachot est glacial. Je vous épargne les détails de ces longues heures où le temps passe difficilement et sans y être indiqué, où les lumières vives des néons s'allument toutes les 15 min et où s'entassent pèle-mêle les détenus de la dernière pêche, parfois dans la même cellule, du petit trafiquant à l'agresseur hystérique.

    Au bout d'un temps j'ai l'occasion de rencontrer le consultant d'SOS médecin qui me donne un premier geste d'humanité, à savoir un verre d'eau et, je l'apprendrais plus tard, auscultera également les deux policiers de la BAC en qualité de médecin, certes, mais également président de SOS médecin France en détaillant généreusement "la lassitude extrême" et la "frustration ressentie" des policiers de devoir en arriver à la violence, quand bien même de leur propre initiative, ce qui leur donnera à chacun 2 jours d'Interruption Temporaire de Travail (ITT) pendant que je croupissait en garde à vue sans autant de compassion ni d'égards.

    Plus tard, bien plus tard, un brigadier vient me voir pour me dire que l'avocat n'arrivera pas et que si je veux sortir il me faudra déclarer ma version des faits en sa seule présence, sans quoi je rempilais pour 24h de garde à vue additionnelle en plus de la vingtaine d'heures déjà passées. Soit.

    "Vous savez que vous faites partie des 1% qui pense encore que la police est contre les citoyens ?" "Non mais les insultes, c'est rien." "Vous regardez là où je vous dit de regarder." Je subis un interrogatoire sous pression que je signe, après relecture, pour sortir au plus vite de ce calvaire. Ils me confisquent en passant mon appareil photo après m'avoir montré les clichés relatifs à l'action, quand bien même une simple copie de ces fichiers leur suffisait. Je ne le récupérerai que plusieurs mois après, suite à une demande insistante de ma part.

    Je ressors donc du commissariat, une boule d'indignation et de colère au ventre, avec de surcroît une Convocation pour Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC), dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants, pendant que ces messieurs de la BAC se paient un week-end sur mon dos. Par la suite, une avocate dont il me faut obligatoirement payer les services de 958 €, puisque cette CRPC me conduit de facto devant le procureur, m'informe que les deux policiers qui m'ont violenté se portent parties civiles et alourdissent la peine qui m'est déjà assigné en me demandant chacun 900€ de dommages et intérêts pour "rébellion" ayant entraîné coups, blessures et préjudice moral. Ils me mettent à terre, lorsque je suis seul et sans arme, m'enferment au commissariat et requièrent que je leur paye par dessus tout une somme astronomique, j'imagine dans l'idée de me dissuader de toute récidive et pour punir abusivement ma contestation envers leur supposée autorité sans qu'à aucun instant je ne puisse avoir voix au chapitre.

    Pour l'heure, je me retrouve chargé de 350€ d'amende, 3 mois de prison avec un sursis coulant sur 5 ans et 1800€ de dommages et intérêts qui pourraient tomber dans leurs poches, net d'impôts. Un sacré jackpot, pris sur le compte d'un militant écolo, par ailleurs honnête citoyen apportant plus à la société qu'il ne lui en prend et mal informé sur ses droits. Si vous avez tout suivi depuis le début, vous vous rendrez compte que l'affaire tourne depuis plus de six mois dans ma tête. La délibération finale aura lieue le 28 novembre (initialement le 03 juillet, cf. Erratum) au Palais de Justice de Chambéry, probablement devant un tribunal correctionnel connu pour être hostile aux militant.e.s et complaisant avec leurs confrères des forces de l'ordre.

        Si mon récit vous a touché.e, voir révolté.e que vous me connaissiez ou non, sachez qu'une soirée de soutien aux victimes de répression policière s'organise dans la foulée le vendredi 5 Juillet à l'Insolente avec concerts, repas et boisson dès 18h. Venez nombreux et nombreuses, on pourra profiter ensemble en se rappelant que c'est le nombre qui fait notre force face à la bêtise acharnée. Une cagnotte en ligne (https://www.cotizup.com/antirep-chambe) a été mise en place aussi, pour ceulles qui souhaitent nous aider financièrement, moi et les futur.e.s victimes du système juridico-policier, pour avoir tenté de rendre le monde plus conscient, si ce n'est moins injuste. Vous pouvez aisément faire tourner ce texte à vos proches ou toute organisation sympathisante de la cause militante et en attendant de se recroiser, faites toujours gaffe derrière vous, et ne partez pas batailler sans formation. Parce que ces gens-là, vous le savez maintenant, sont terriblement formés contre nous.

    Allez, salut.

  JB Truffart


Publié le : 3 juillet 2024 20:42
Jibé